Comment les biais de genre impactent les décisions d’investissement et que faire pour les déjouer ?

24% : c’est le pourcentage de startups créées en 2021 avec au moins une femme cofondatrice. Et pourtant, elles n’ont compté que 11% des montants collectés en 2022. C’est un fait : la mixité dans le monde de la tech n’est pas encore atteinte. Bien que la réduction des écarts de financement soit complexe car le problème est multi-causal, les investisseur·es ont un rôle à jouer pour renverser la tendance. Surtout lorsque l’on sait que les startups mixtes ont des retours sur le capital investi 30% plus élevées quand elles sont rachetées ou qu’elles deviennent publiques et que les startups cofondées par des femmes ont des valorisations 63% + élevées que celles cofondées uniquement par des hommes. 

Investir sans discriminer ne relève pas de la mission impossible. L’une des clefs pour y parvenir ? Savoir garder à distance ceux qui nous influencent au quotidien : les biais cognitifs. Décryptage de leur rôle sur les décisions de financement et liste (non exhaustive) de conseils pour les déjouer.

Les biais cognitifs : quésaco ?

Les biais cognitifs sont un ensemble de croyances sur les caractéristiques typiques des membres d’un groupe social (par exemple, les femmes, les hommes, les comptables, les Européen·nes, les Asiatiques…). Il s’agit d’un mécanisme naturel de notre cerveau qui nous permet de simplifier notre monde social très complexe et de le rendre plus compréhensible et prévisible. En résumé, nous utilisons inconsciemment des stéréotypes, positifs et/ou négatifs, parce que c’est moins fatiguant mentalement. 

Les biais agissent en quelque sorte comme des automatismes et peuvent être liés à des émotions – peur, colère, anxiété – ou à des habitudes de pensée acquises depuis longtemps. Ils surviennent, notamment, dans des contextes où l’on doit prendre une décision ou porter un jugement rapidement” précise la doctorante en psychologie Cloé Gratton

Comme elle le souligne, personne n’est à l’abri des biais cognitifs et les investisseur·es ne font pas exception. Il·elles peuvent prendre des décisions biaisées tout en ayant l’impression qu’elles sont objectives.

Le rôle des biais de genre dans les décisions d’investissement

En raison des stéréotypes et des normes de genre qui existent dans notre société, les biais de genre peuvent influencer la façon dont les investisseur·es évaluent les opportunités d’investissement et les entrepreneur·es. En effet, les études révèlent que ces biais de genre peuvent se manifester de différentes manières dans les décisions d’investissement :

1 - La sous-estimation des femmes entrepreneures

Les investisseur·es peuvent avoir tendance à sous-estimer les capacités des femmes entrepreneures, en raison de stéréotypes de genre qui associent les femmes à des qualités comme la douceur et la compassion plutôt qu’à la compétence et à l’ambition.

Par exemple, selon l’étude Kanze et al. de 2018, il est prouvé que les investisseur·es ne posent pas les mêmes questions aux femmes et aux hommes fondateurs lors d’une réunion : il·elles poseront davantage de questions de promotion aux hommes, quand il·elles poseront des questions de prévention aux femmes. Résultat : les réponses qui en découlent sont corrélées et les hommes entrepreneurs sont davantage mis en valeur et obtiennent  plus de financements. Pourtant, les femmes ne manquent pas d’ambition, il faut juste qu’elles aient une chance égale de partager leur vision.

2 - Le favoritisme envers les entrepreneurs masculins

Les investisseur·es peuvent aussi avoir tendance à favoriser les entrepreneurs masculins en raison de normes de genre qui associent les hommes à des attributs comme la prise de risques et la domination plutôt qu’à la prudence et à la collaboration.

Là aussi, certaines études sont révélatrices de ce phénomène. Par exemple, une expérience de la Columbia Business School a montré que le succès et la sympathie sont positivement corrélés pour les hommes et négativement corrélés pour les femmes (les personnes percevant la femme comme trop agressive d’après son CV par rapport à un leader intelligent et sympathique lorsque le nom sur le CV a été changé par celui d’un homme).

En fait, ce qu’il se passe c’est que les stéréotypes créent des attentes spécifiques dans notre inconscient. Si nos attentes sont contrariées (par exemple une femme montrant une attitude entrepreneuriale forte), la décision va être plutôt défavorable et cela peut avoir un impact sur le montant de financement par exemple. Sur ce point, une étude HBR montre que les femmes sont très sujettes non seulement aux attentes mais aussi à de nombreux paradoxes. On s’attend à ce que les femmes dirigeantes soient à la fois exigeantes mais aussi attentionnées, autoritaires mais participatives, distantes tout en étant accessibles…

3 - Les situations “d’entre-soi”

Le biais de l’entre soi consiste pour les membres d’un groupe à favoriser les membres de leur groupe d’appartenance au détriment des membres du groupe de non-appartenance. Effectivement, une étude par scanner cérébral de l’Université de Harvard a montré que les humains ont tendance à avoir une meilleure perception des personnes qu’ils pensent leur ressembler davantage.

Le problème ? 85% des décideur·es des fonds d’investissement sont des hommes. Ces dernier·es vont avoir une tendance naturelle à “financer ce qui leur ressemble”, c’est-à-dire des équipes fondatrices masculines. 

Bon à savoir : il est important de noter que les décisions biaisées n’affectent pas seulement le « VC senior masculin blanc« . Bien que la recherche ait montré que « les femmes entrepreneures réussissent […] mieux avec des investisseures« , certaines investisseures admettent avoir été encore plus exigeantes envers les femmes fondatrices, en raison du « biais d’intégration« .

4 - La tendance à investir dans des secteurs dits "masculins"

Les investisseur·es peuvent également avoir tendance à investir dans des secteurs qui sont perçus comme « masculins« , tels que la technologie et les sciences (secteurs considérés comme attractifs en termes de retour sur investissement), plutôt que dans des secteurs qui sont perçus comme « féminins« , tels que la santé et l’éducation. 

Derrière cette tendance, il y a l’idée que les femmes fondatrices sont beaucoup moins nombreuses dans les secteurs technologiques. Or comme on le disait en introduction de cet article, il y a certes moins de femmes fondatrices, mais cela n’explique pas l’écart entre le montant levé et le nombre de startups. En effet, tous secteurs confondus, les hommes lèvent 4M de plus que les équipes fondatrices mixtes ou féminines selon le baromètre SISTA x BCG en 2022. 

Vous l’aurez compris : ces raccourcis de pensée sont autant de remparts qui se dressent entre investisseur·es et politique d’investissement inclusif. Alors, comment y remédier ? 

Nos recommandations pour déjouer les pièges de notre cerveau et rendre l’investissement plus inclusif

Être conscient·e de ces biais cognitifs est un premier pas mais pour tenter de (vraiment) faire bouger les lignes, rien de mieux que de mettre en place quelques processus visant à les diminuer. Et cela passe par le fait de challenger l’ensemble de votre processus d’investissement. En effet, aucune phase du processus d’investissement n’est épargnée par les biais cognitifs. 

  • Au niveau du sourcing. Plusieurs actions sont envisageables. Vous pouvez démarrer en faisant la promotion de rôles modèles. Pour cela, assurez-vous que votre fonds soit représenté à la fois par les hommes et les femmes de votre équipe lors des occasions de prise de parole en public. Dans la même veine, faites en sorte que vos supports soient inclusifs (que ce soit à l’écrit ou visuellement). Autre action qui a déjà fait ses preuves, notamment chez Ada Ventures : les programmes de scouting. Idéal pour vous connecter plus facilement à des fondateur·trices sous-représenté·es sur votre marché.

  • Au niveau de la sélection. N’hésitez pas à anonymiser les candidatures/projets. Comment ? Par exemple en créant un modèle de note d’investissement qui se concentre sur les données de la taille du marché ou les KPI de démarrage. En parallèle, organiser un comité pour nommer un·e défenseur·e de la D&I au sein de votre fonds est également recommandé.

  • Au niveau des premiers échanges et de la phase d’audit. Faites en sorte que vos équipes d’investissement soient équilibrées hommes/femmes. Pourquoi ? Tout simplement pour montrer un environnement plus accueillant pour les femmes fondatrices et avoir différentes opinions. Ensuite, en interne, faites preuve de transparence en utilisant des outils comme Notion ou encore Airtable afin de rendre publics tous les processus d’entretien. Enfin, pour ne pas tomber dans le piège des les questions biaisées comme on le soulignait plus haut, vous pouvez préparer un modèle d’entrevue avec des questions typiques, mêlant promotion et prévention.


En plus de tout cela, des actions à l’échelle organisationnelle sont aussi possibles. Recruter plus d’investisseures, vous fixer des objectifs clairs et les rendre publics pour vous y tenir… sont autant de bonnes pratiques permettant de rendre l’écosystème plus inclusif et diversifié ! 

Un dernier petit conseil pour la route : pour adapter vos pratiques et vous former, n’hésitez pas à vous faire accompagner. C’est ce que nous proposons par exemple avec SISTA via notre charte ainsi que notre programme spécial Investor Ally à découvrir par ici.