
Le changement d’échelle des entreprises à impact : en voilà un sujet palpitant qui suscite de nombreuses interrogations. À l’occasion de notre dernière Inclusive Hour, Florian Denys (Directeur des activités de Capital Investissement de Sofiouest), Jean Moreau (CEO de Phenix) et Elina Berrebi (Associée fondatrice de Revaia) ont partagé leurs retours d’expérience et livré de nombreux conseils auprès d’Elodie Nocquet (fondatrice de Better Way). Zoom sur ces échanges captivants ouvrant la voie à des organisations plus inclusives, durables, résilientes et performantes.
Comment gérer les enjeux d’une croissance rapide pour les entreprises à impact ?
Les intervenant·es s’accordent sur plusieurs points clefs à garder en tête pour que la croissance se déroule bien :
- L’importance de chercher un modèle d’impact et de mesure simple. “De notre côté, on a la chance d’avoir un modèle d’entreprise et un métier qui sont alignés. Notre métrique phare est le nombre de repas sauvés et ce dernier montre que croissance et impact sont liés (plus on sauve de repas, plus on redistribue, plus on fait de chiffres et ainsi de suite). C’est un vrai cercle vertueux” explique le fondateur de la solution anti-gaspillage. Pour être simple, restez focus, que ce soit au niveau du produit ou géographiquement. C’est un constat qu’a fait Jean par rapport à Phenix par exemple : “on a cherché à se diversifier et en face de nous on a Too Good To Go qui est mono produit et cela leur a permis de viser l’excellence. Dans la même idée, je pense qu’il ne faut pas partir trop vite à l’international car cela peut cacher plein de complexités. En France, on a la chance d’avoir déjà 70 millions de consommateur·trices donc à refaire je prendrai davantage le temps avant d’aller à l’étranger” résume-t-il.
- La conviction des collaborateur·trices et l’ADN des dirigeant·es sont primordiales. Cherchez des gens qui ont la même vision et qui sont alignés avec le projet de l’entreprise. “Les compétences ça se trouve partout mais avoir une personne alignée c’est beaucoup plus rare et c’est ce qui crée de la valeur à long terme” argumente Florian. Cependant attention, qui dit impact dit aussi risque de surinvestissement auquel il faut être attentif : “L’impact, cela prend aux tripes et donc les sujets de burn out sont à surveiller de près au fur et à mesure que l’entreprise grandit” avertit Jean.
- Il est recommandé d’avoir une personne dédiée sur le sujet ESG/impact. “Chez Revaia, on a montré qu’une personne dédiée entraîne 2,5 plus d’initiatives sur le sujet” souligne Elina. Comme cela représente un certain coût, dans de nombreuses entreprises c’est d’abord le·la DRH qui porte la casquette impact. Le problème ? Étant donné que ce n’est pas son cœur de métier, le sujet peut vite passer à la trappe. “Le regard d’un·e expert·e du sujet est toujours le bienvenu car ce sont des sujets complexes et évolutifs. Il ne faut pas hésiter à investir tôt dans une équipe RH avec de bons éléments de ce type” conseille Elina.
- L’impact doit se retrouver dans toutes les sphères de l’entreprise. En plus du bilan carbone, le volet “partage de la valeur” ne doit pas être négligé. “Par exemple, chez Phenix on est ESUS (Entreprise Solidaire d’Utilité Publique) et on encadre les salaires de 1 à 10. Pour la suite, en tant qu’entreprise ayant déjà une dizaine d’années d’existence on réfléchit à une potentielle sortie et donc on se questionne : qu’est-ce qu’un exit à impact ? Comment on partage entre les parties prenantes ? Est-ce que c’est acceptable de faire un LBO dans l’impact ? Je pense que ce sont des réflexions phares à avoir quand on grandit” tient à préciser Jean.
Quels avantages à s’engager dans une démarche de formalisation de son impact ?
Formaliser (par exemple via des labellisations) et mesurer son impact, cela permet de prouver la pertinence de vos actions par rapport à votre stratégie globale ainsi que la bonne utilisation des ressources. Résultat : vous embarquez les fonds en montrant que l’impact ne se fait pas au détriment de la performance et vous participez ainsi à sa démocratisation.
“Si on arrive à bien s’organiser, à prendre soin de ses talents, à bien partager la valeur, à diminuer son empreinte carbone etc cela veut dire que l’on a eu le temps de prendre du recul par rapport à son entreprise, donc c’est bon signe. Je pense que plus on aura d’études de ces corrélations, plus on fera de l’impact la norme” affirme Elina.
Bon à savoir : en faisant des études sur les jeunes entreprises, Reveia s’est aperçu que la nouvelle génération d’entrepreneur·es prenait le sujet de l’impact à bras le corps de plus en plus tôt. Notamment via des labels et des certifications. Un choix judicieux car plus l’entreprise est jeune, plus elle est agile donc plus ce type de démarches est simplifié.
Comment identifier les bons indicateurs d'impact et de croissance ? Que regardent les fonds ?
Approches qualitatives, statistiques, monétaires… De nombreux outils et méthodes existent pour mesurer l’impact. Chez Sofiouest, Florian explique qu’ils sont attentifs à deux axes : les critères ESG et l’impact en tant que tel de l’activité.
- Côté ESG, un premier score est établi en regardant de plus près chaque lettre de l’acronyme. “On va regarder par exemple si vous avez réalisé un bilan carbone, s’il y a des initiatives mises en place pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. On va également analyser le climat social de l’entreprise c’est-à-dire les accidents de travail, le taux d’absentéisme etc. Enfin, on va creuser votre gouvernance (présence d’administrateurs indépendants, la parité dans le comité exécutif etc)” explique-t-il.
- Côté impact, ce qui va être clef c’est la contribution de votre activité à une notion de bien commun pour la société. Et pour cela, 3 éléments sont scrutés : “l’intentionnalité (le management a-t-il envie de se lancer dans ce type de démarche ? Est-ce que la raison d’être priorise la résolution de problèmes sociaux et environnementaux ?), la contribution du chiffre d’affaires au bien commun, et enfin la mesurabilité (est-ce que ces différents critères sont effectivement mesurés et s’ils le sont, permettent-ils de contribuer à la croissance de la société ?)” complète Florian.
Ce qu’il faut retenir ? L’impact est un tout. La société qui a le meilleur score n’est pas forcément celle qui a le plus d’impact direct sur les bénéficiaires. Il peut s’agir d’une entreprise avec une mission sociétale forte et des pratiques très avancées (comme par exemple la semaine de 4 jours chez WelcometotheJungle). Petit point de vigilance : “cela ne veut pas dire que ces pratiques correspondent à tous types d’entreprises mais chaque organisation peut trouver des innovations intéressantes dans son secteur et en fonction de son modèle d’entreprise” relate Elina.
Dans tous les cas, les investisseur·es sont là pour guider dans la pertinence de ces indicateurs. “Ils partagent des bonnes pratiques et surtout ils donnent les moyens de faire les choses correctement (par exemple le recrutement ou la certification Bcorp). Cela donne un cadre et ça force à être carré sur plein de sujets” tient à préciser Jean.
La difficulté ? Mesurer son impact peut prendre du temps. “Je pense par exemple à la société Hublo (outil de gestion du personnel soignant) que l’on accompagne : on compte près de 600 000 personnes sur l’outil donc le rôle sociétal et systémique est énorme. L’indicateur clef de l’impact est de savoir combien de temps Hublo fait gagner aux soignant·es. Conclusion : 2,5 heures par jour et la réduction des heures supplémentaires, ce qui est colossal. Ces résultats sont significatifs maintenant que l’entreprise a grandi mais quand elle était jeune cela n’avait pas la même valeur. Accepter que cela prend du temps est donc essentiel dans la vision de l’entreprise” conclut Elina.
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Un dernier conseil pour la route : celui de Jean pour qui, “il ne faut pas hésiter à se lancer. Il y a plein de choses à faire, c’est le futur. Vous allez attirer des talents et financements, c’est la bonne voie !” En tout cas, une chose est sûre, c’est un avenir qui donne envie !