
À la télé, dans les médias, sur internet… En France, lorsque l’on parle entrepreneuriat et tech, les superlatifs vont bon train. Un peu comme s’il n’y avait que des réussites. Cependant et fort heureusement, depuis quelques années, les mentalités tendent à évoluer et parler de ses échecs semble se démocratiser. C’était d’ailleurs le sujet de notre évènement avec la communauté SISTA Entrepreneures le 25 janvier dernier. L’occasion pour nos 2 cofondatrices Tatiana Jama et Céline Lazorthes de nous partager leur vision de l’échec et les leçons qu’elles en ont tirées. Une bonne dose d’inspiration et de conseils avisés !
Parlons un peu d’échec et de remise en question. Qu’est-ce que cela représente pour vous ? Pouvez-nous parler un peu des vôtres ?
Céline raconte : “Apres avoir créé Leetchi, j’ai d’abord fait une pause de deux ans. Puis j’avais en tête de rentrer dans un master très réputé à Columbia dans le secteur médical. Pour postuler, il faut des lettres de motivation. Après 1000 péripéties, j’ai finalement réussi à avoir une lettre de recommandation du président de la république, Mr Macron. Malheureusement : aucune réponse de Columbia. Je décide alors de prendre un avion pour aller voir le doyen du programme, qui m’explique que je n’ai pas besoin de ce programme et que c’est un non. 6 mois plus tard, je décide de m’associer à nouveau et de créer Resilience pour réinventer la façon de soigner le cancer. La morale de toute cette histoire ? Un échec est souvent une déviation qui fait grandir.”
“De mon côté, je ne considère pas les échecs comme tels. Je trouve qu’il y a dans ce terme un côté un peu fataliste alors que finalement c’est surtout prendre une mauvaise décision, perdre un peu de temps (ou pas) et finalement trouver une nouvelle solution. C’est le propre de l’entrepreneur·e à mes yeux. Le tout maintenant c’est d’apprendre à travailler sur cette peur de “l’échec” ” souligne Tatiana.
Justement, par où commencer pour mieux gérer les difficultés et la peur de l’échec ?
Sur ce point, les deux interlocutrices sont unanimes : il faut tout d’abord apprendre à se dissocier de son projet pour mieux gérer les difficultés. Lorsque que l’on crée son entreprise, et notamment lorsqu’il s’agit de sa première entreprise, on peut vite avoir tendance à se jeter à corps perdu dedans, et a avoir un lien émotionnel très fort. Le vocabulaire employé est d’ailleurs assez révélateur de cette tendance : c’est souvent des termes reliés à la famille qui reviennent dans l’entrepreneuriat. On parle par exemple de “bébé” pour qualifier son projet.
Le problème ? Si le projet ne prend pas la direction que l’on souhaite, cela peut parfois provoquer du surmenage, des décisions peu rationnelles et de la culpabilité.
“Pour pouvoir être bon·ne dirigeant·e, il faut se donner l’espace pour prendre du recul” explique Tatiana.
Rentrons un peu dans le détail. Un constat qui revient souvent concerne le sentiment d’échec que l’on peut avoir suite à “une erreur” de recrutement. Quels sont vos conseils sur ce sujet ?
“Un recrutement raté peut coûter très cher à une jeune entreprise. Cela implique le temps de chercher une personne, la payer pendant 3-6 mois, puis s’en séparer et ensuite recommencer. En plus, il est probable que cela ait des impacts plus globaux sur la dynamique et la culture de l’entreprise” commente Céline.
Leur conseil sur ce sujet ? La nécessité de définir un processus clair, co-organisé en plusieurs étapes et durant lequel des rencontres sont prévues avec les managers et le reste de l’équipe. En plus de favoriser les chances de réussite du recrutement, cette marche à suivre permet de relativiser “l’échec” d’un recrutement : il n’est pas attribué à une personne en particulier puisque tout le monde aura donné son avis.
“Enfin, gardez en tête le fameux dicton “lead by exemple” : si votre impulsion en tant que fondateur·trice et votre exigence est haute, alors cela devrait naturellement suivre dans l’entreprise” complète Céline.
Autre source de difficultés : les conflits internes. Comment apprendre à les gérer ?
Selon Tatiana, “pour être le·la meilleur·e entrepreneur·e possible, il faut apprendre à se connaître au mieux. C’est ce qui permet d’identifier ses forces, ses faiblesses pour se rassurer et pouvoir gérer au mieux les conflits, les moments de stress, ou les phases compliquées”. En effet, nos erreurs et nos imperfections sont une excellente occasion d’entamer une démarche d’introspection.
Pour cela, il y a de nombreuses pistes à explorer (seul·e ou avec ses cofondateur·trices / C-levels). Par exemple :
- Les tests de personnalités, pour mieux comprendre comment les gens fonctionnent par rapport à telle ou telle situation. On pense particulièrement au MBTI mais il en existe de nombreux autres (utilisés par de nombreux·ses fondateur·trices ainsi que des fonds d’investissements pour tester les relations internes et les matchs entre associé·es).
- Ou encore un accompagnement par des coachs en entreprise. “C’est très utile concernant la prise de décision, le fonctionnement interne, la prise de hauteur etc. De manière globale, c’est un excellent outil pour devenir un·e meilleur·e dirigeant·e, parce que finalement, au début de son aventure, on est fondateur·trice et au bout de quelques temps, on devient dirigeant·e, et ce sont deux métiers distincts sur lesquels il faut apprendre” souligne Céline.
Bon à savoir : de ce côté-là, nos 2 fondatrices recommandent vivement Hubert Reynier par exemple.
Quelle posture avoir par rapport à ses investisseur·es lorsque l’on parle de ses échecs ?
Selon Tatiana et Céline, qui ont également des retours d’expérience en tant qu’investisseures elles-mêmes, un échec passé est plutôt valorisé dans la profession : cela montre la résilience, la hargne, la pugnacité de l’équipe fondatrice. Remonter une boîte après un échec, c’est un signe que la personne ne va pas s’arrêter, et donc que c’est à priori, un bon investissement.
La clef ? Être transparent·e, analyser son échec, apprendre à en parler, pour montrer que les mêmes erreurs ne seront pas commises, ou au moins qu’il y a eu de vrais apprentissages.
Autre conseil : “Lors de moments compliqués dans votre entreprise, partagez-les avec vos investisseur·es. Ils·elles font partie de l’aventure, et en théorie, s’ils·elles sont bien choisi·es, ils·elles ont à cœur la réussite du projet. Dans tous les cas, gardez à l’esprit que ne pas en parler n’est pas très stratégique, pour la relation de confiance, et pour la suite de la collaboration” analyse Tatiana.
Que faire lorsque l’on traverse une zone de turbulences ?
Là aussi, les deux interlocutrices se rejoignent : lors de moments complexes, il est essentiel de trouver des personnes avec qui échanger, notamment des personnes qui comprennent le métier d’entrepreneur·e.
En parallèle, n’hésitez pas à prendre soin de vous et de votre charge mentale. Méditation, sport, sorties entre amis… Sont toujours bénéfiques pour aller de l’avant. Déléguer et prendre du temps pour vous sont également essentiels pour vous permettre de revenir dans de meilleures conditions.
Un dernier conseil pour la route ?
“Évidemment, vouloir entreprendre, c’est en quelque sorte vouloir changer le monde, mais pour ça, il faut se montrer à l’écoute, avoir de l’empathie, être capable d’accepter la critique. En bref, un·e bon·ne entrepreneur·e, c’est surtout savoir faire preuve d’une bonne dose d’humilité” conclut Céline.
Pour aller plus loin :
- La série Untold : la première série documentaire sur la santé mentale, développée par la plateforme teale. Dans chaque épisode, un·e entrepreneur·e revient sur un moment difficile en toute transparence, et raconte comment il ou elle a, ou non, surmonté cette épreuve. En espérant que ces histoires vous inspireront.
- Le livre Entreprendre et surtout être heureux d’Alexandre Dana : après avoir lancé une enquête nationale auprès de 10 000 entrepreneur·es sur leur niveau de bien-être, le fondateur de Livementor propose de nombreux outils à mettre en œuvre pour conserver le plaisir d’entreprendre.
- L’astuce de Tatiana pour contrer celles et ceux qui ne vous prennent pas au sérieux : “C’est un point important car en tant que fondatrice surtout, ce sont des moments qui arrivent malheureusement régulièrement et qui déstabilisent. Pour moi, le rire et la rhétorique ont un pouvoir assez magique : je liste toutes les situations et j’essaye de trouver des parades en retournant la situation. Dans le même temps, je me dis que le sexisme ordinaire permet de trier, ce ne sont pas forcément des personnes que je veux dans mon équipe ou mon board” s’amuse Tatiana.